Dans la grande meute du rap US, il y a les loups solitaires et il y a Yelawolf — alias Michael Wayne Atha. Natif de Gadsden, Alabama, mais “nomade” dès le berceau, trimballé de ville en ville par une mère adolescente aussi imprévisible que les beats de son fils. Difficile de cerner ce surgonflé d’authenticité, tatoué de la nuque aux santiags, compositeur, vandale sonore et conteur féroce, qui se targue de représenter “l’Amérique des vraies galères”, celle des laissés-pour-compte et du bord des routes. Le rap, chez lui, est affaire de trajectoire cabossée : quinze écoles, mille carnets de notes, mille riffs de vie, et au bout du voyage… un disque toujours prêt à casser le moule.
Yelawolf fait ses armes dans l’underground dès 2005 avec Creekwater, mixe country et rap cradingue et poésie brute. Après quelques tours chez Columbia Records et des premières mixtapes passées inaperçues (Ball of Flames, Stereo), la machine s’emballe avec l’arrivée fracassante de Trunk Muzik en 2010. Loin du carcan pop, le son sent le cambouis, et le sud profond — banjos, guitares infectées, trap beats hargneux — laisse éclater une urgence peu commune. C’est le chaînon manquant entre la scène redneck et le rap sudiste, et le label Interscope ne s’y trompe pas : le projet est remixé et propulsé en major sous le nom Trunk Muzik 0-60. Sa signature chez Shady Records en 2011, sous l’œil attentif d’Eminem, le fait entrer dans la cour des grands. Du coup les collaborations de renoms commencent à s’enchainer : Eminem, Kid Rock, Lil’Jon, Gucci Mane, Travis Barker …
Son maniement des genres est inouï. D’un freestyle à l’autre, Yelawolf claque sur la rime comme sur l’accord de guitare : mixtapes, collaborations XXL (Eminem, Ed Sheeran, Travis Barker), et albums qui s’égrainent en zigzags stylistiques. Radioactive (2011) amorce la fusion, tandis que Love Story (2015), entièrement supervisé par Eminem, explose la frontière entre country, rock sudiste, rap technique et refrains mélodiques. Ce disque, qui tutoie le sommet du Billboard et offre le single “Till It’s Gone” devenu classique, résume bien l’alchimie : un cow-boy white trash prêt à tout hybrider, même ses propres névroses.
Loin de s’essouffler après les premiers feux, Yelawolf creuse la veine des outsiders. Trial by Fire (2017), Trunk Muzik III (2019), Ghetto Cowboy (2019) — son premier album indépendant sur son label Slumerican —, puis une suite de projets collectifs, mixtapes et retours rock assumés (Sometimes Y en 2022 avec Shooter Jennings). Le loup va toujours là où on ne l’attend pas : il multiplie les featurings, les tournées marathon, et assume, vaille que vaille, les tempêtes intérieures (débâcles, polémiques, hospitalisations) pour mieux rebondir sur disque. Grand ami de Struggle Jennings et Jelly Roll, ils collaborent à de nombreuses reprises.
Le secret ? Un goût maniaque du détail, un amour du mot bien placé, un instinct de survivant qui lui fait hybrider Outkast, Lynyrd Skynyrd, Eminem, N.W.A, Johnny Cash ou Black Sabbath dans un shaker d’histoires vraies. Sa marque, c’est ce goût de l’expérimentation : country-gothique, hip-hop sudiste, rock glam et esprit punk se télescopent sans pudeur, au service d’un seul but : parler à ceux que l’Amérique oublie sur le bas-côté.
Son catalogue relève de la collection compulsive, plus une légion de mixtapes et d’EPs qui font de lui le vétéran insaisissable du dirty rap moderne.
L’essence de Yelawolf ? Un besoin vital de brouiller les frontières, de transformer le parcours cabossé en odyssée sonore furieuse, de faire de chaque séquelle une punchline et chaque nuit blanche la promesse d’un tube. Un iconoclaste, définitivement, mais qui n’a jamais confondu la différence avec la pose. Chez Yelawolf, le camouflage, c’est une façon d’être soi. Et c’est peut-être ce qui rend la musique du loup blanc inlassablement contemporaine.
Discographie Yelawolf
- 2005 – Creekwater
- 2008 – Arena Rap EP
- 2010 – Trunk Muzik
- 2011 – Radioactive
- 2013 – Trunk Music Returns
- 2015 – Love Story
- 2017 – Trial by Fire
- 2019 – Trunk Muzik 3
- 2019 – Ghetto Cowboy
- 2021 – Mud Mouth
- 2021 – Slumafia EP (avec DJ Paul)
- 2021 – Mile Zero (avec DJ Muggs de Cypress Hill)
- 2021 – Yelawolf Blacksheep (avec Caskey)
- 2021 – Turquoise Tornado EP (avec Riff Raff)
- 2022 – Sometimes Y (avec Shooter Jennings)
- 2024 – War Story
- 2025 – Whiskey & Roses (avec J.Michael Philips)